Histoires de dire

Ça ressemble à un conte et pourtant c'est une histoire bien vraie. Elle remonte à un peu plus de cinquante ans mais je m'en souviens comme si c'était hier.

 

Un soir, alors que je me trouvais chez mes parents, mon père rentrant de son travail, me dit "Dédé m'a appelé cette après-midi et il m'a raconté avoir sauvé une fouine et être en train de l'apprivoiser. C'est bien de lui ça !". Dédé c'était le beau-frère de mon père, autrement dit mon oncle, il était aide-soignant au futur-ex sanatorium à l'époque, de La Meynardie et habitait dans des petites maisonnettes réservées au personnel situées en bordure de La Double. Mes parents comme moi-même habitions Paris.

 

Tout ceci étant nécessaire pour comprendre la suite...

 

A côté de ses fonctions officielles mon oncle s'était pris de passion pour la taxidermie. Par essais, par erreurs, par lectures... au fil du temps il s'était construit un savoir-faire dont les résultats ne manquaient pas de qualité. Le bouche-à-oreille, si bien répandu dans nos campagnes, fut une publicité tranquille qui lui amenait régulièrement, tantôt une telle qui souhaitait conserver son défunt chat, tantôt untel qui voulait accrocher la tête de son chevreuil au dessus de son buffet de cuisine, ou encore ce jeune enfant qui avait découvert le corps d'un écureuil.

 

Voici qu'un jour un chasseur vient le voir avec le corps d'une fouine pour "la faire taxidermer!". Mon oncle l'examinant s'aperçoit qu'elle est certes bien blessée, mais qu'elle n'est pas morte. Alors : "tu sais je vais d'abord commencer par la soigner, si j'échoue je la naturalise, si je réussis elle vivra sa vie de fouine".

Lorsqu'il a téléphoné à mon père, mon oncle lui dit "non seulement je l'ai guérie mais maintenant je l'apprivoise, tu verrais comme elle est mignonne".

 

Quelques semaines plus tard, je me suis rendu à Saint Privat pour quelques jours de repos auprès de ma famille. Mon objectif numéro un était " la fouine de tonton !".

Je vais le voir, on prend l'apéro et.... "tu l'as toujours ta fouine?". Il me regarde avec un grand sourire, tape sur sa chemise dans le bas de son dos, cette chemise s'agite, prend des formes mouvantes et tout à coup, sortant du col, juste sous le menton de mon oncle, surgit une adorable petite tête de fouine qu'il caresse aussitôt.

 

"Caresse-là, ça lui fera plaisir" et à moi pensez donc !

 

"Donne-lui ce petit morceau de saucisson". Je le tends à "fouinette", elle ne le prend pas mais regarde alternativement ma main et le visage de mon oncle ( à cet instant il me souvient la façon dont il dressait ses chiens). Lorsqu'après un court moment il lui dit "tu peux prendre", fouinette ne se le fit pas dire deux fois tout en préservant l'intégrité de mes doigts.

 

Rendez-vous compte de ce que j'avais à raconter aux parisiens dès mon retour dans la capitale. Mais la belle histoire ne s'arrête pas là.

 

Un jour ( je ne saurais me rappeler de l'époque), mon oncle m'appelle pour me dire que fouinette est partie. Sans doute, en bonne forme, est-elle allé chercher un compagnon dans La Double, et vivre sa vie de fouine. Il est tristounet, mais fier et c'est ce second sentiment qui semble dominer. Mais la belle histoire ne s'arrête toujours pas là...

 

De nombreuses semaines ont passé, mon oncle m'appelle de nouveau avec beaucoup d'émotion dans la voix et, sans doute, de petites larmes au coin des yeux : "avant-hier fouinette est revenue, suivie de sa petite famille ! Ils ont dormi à la maison, sont restés toute la journée d'hier! Nous avons pu les caresser, même jouer avec eux! Ils ont passé une nouvelle nuit puis au matin, tranquillement, ils ont regagné La Double sans doute pour retrouver leur véritable foyer".

 

Mon oncle nous a quitté depuis fort longtemps, mais je me dis qu'en vous la racontant cette belle histoire vraie ne s'arrêtera pas tout à fait là...

 

Alain Gassion